Ce texte est paru sur le site Les Affaires. Pour consulter la version originale, cliquez ici.
Au sortir de cette pandémie, on sait à quel point nos vies ont été chamboulées: nos aînés, nos enfants et nos proches vulnérables ont été affectés par la crise, sont tombés malades, certains sont décédés. Peut-être l’humanité aura-t-elle eu besoin d’un mal invisible et contagieux et d’une guerre ayant des répercussions sociales et économiques mondiales pour réaliser sa fragilité, que notre passage sur Terre est éphémère et que la vie est courte. Face à tous ces défis, on repense notre raison d’être et on revoit du même coup notre rapport au travail, à l’argent, à la famille et à notre communauté.
Comme le marché du travail et l’économie n’y ont pas échappé, à qui le chaos des deux dernières années a-t-il le plus profité? Aux gouvernements, aux institutions publiques, aux entreprises privées, à leurs dirigeants ou à leurs employés? On peut affirmer que certaines entreprises privées ont été fortement affectées négativement pendant que d’autres ont bénéficié d’une manne inespérée et ont vu leurs affaires prospérer. Pendant que les petits commerces ayant pignon sur rue peinaient à rester ouverts malgré les mesures sanitaires, les Amazon de ce monde voyaient leur chiffre d’affaires bondir, le géant enregistrant des ventes de 108,5 milliards de dollars (G$) et un profit de 8,1 G$ pour le premier trimestre de 2021, soit une croissance de 220% par rapport à l’année précédente.
Bien que le malheur des uns fasse souvent le bonheur des autres, d’innombrables entreprises de tailles variées se remettront difficilement, voire jamais, de la période que nous ne terminons pas de traverser. On n’a qu’à penser aux milieux de la restauration, du spectacle et des arts.
Une même réalité touche cependant tant les entreprises prospères que celles qui galèrent: la pénurie de main-d’œuvre. La rareté des talents pousse à une transformation fondamentale du rapport de force entre employeurs et employés. Pour traverser avec succès cette transformation, il ne faut pas sous-estimer l’impact de la COVID sur les entreprises, et surtout sur les gestionnaires qui sont sur la première ligne. Quels sont donc les principaux éléments à considérer pour maintenir la motivation des talents et assurer la profitabilité?
Si l’employé a su tirer son épingle du jeu dans la véritable révolution du travail, le gestionnaire n’a qu’à bien se tenir, car il doit faire face à une nouvelle réalité où il doit répondre aux attentes de plus en plus élevées des talents (une ressource rare et précieuse en temps de pénurie) tout en maintenant la croissance et la rentabilité.
D’un point de vue humain, le gestionnaire doit:
Mais ce n’est pas tout. Une proportion importante des organisations a vu sa rentabilité diminuer depuis 2020 et subit les conséquences de l’instabilité économique. Le gestionnaire qui répondrait systématiquement aux nouvelles demandes risque de nuire grandement à sa performance, voire à sa survie.
C’est le défi auquel font face beaucoup d’entreprises du Québec présentement. La COVID et la guerre en Ukraine sont toutes deux comme une taxe invisible avec lesquelles il faut désormais apprendre à jongler, dans un contexte difficile pour les PME qui ont des ressources limitées pour satisfaire une main-d’œuvre exigeante (rappelons que les PME comptent pour 99,8% des entreprises, soit la quasi-totalité des employeurs au Québec).
À cela s’ajoutent les répercussions de la COVID, qui tardent à s’estomper, et l’incertitude économique résultant de la guerre en Ukraine. Face à une inflation préoccupante et une transformation accélérée du marché du travail, comment employeurs et gestionnaires peuvent-ils innover dans un monde en transformation et dont la forme finale n’est pas encore assumée?
Les demandes des employés, qui ont la part du lion dans le marché du travail actuel, sont nombreuses: plus de télétravail, plus de flexibilité, plus de formation, de meilleures opportunités de carrière, une meilleure qualité de vie, moins de pression, un salaire supérieur et de meilleures conditions, et ce, dès maintenant.
Comment y répondre tout en maintenant ses coûts d’exploitation à un niveau acceptable et l’excellence de ses produits et services?
Le premier réflexe serait d’améliorer les conditions au maximum et d’offrir les salaires compétitifs demandés, au risque de voir sa profitabilité diminuer. Tomber dans le jeu de la surenchère peut cependant représenter un piège important. De nombreuses études l’ont largement documenté: le salaire et les conditions de travail, dans la mesure où ils sont équitables et concurrentiels, n’ont que peu d’influence sur la motivation et le niveau d’engagement des employés. Une méta-analyse de 120 études effectuées par Tim Judge et ses collègues a démontré que la corrélation entre le salaire et la satisfaction au travail était très faible. En d’autres mots, si on veut une main-d’œuvre engagée, augmenter les salaires ne suffit pas.
Si les demandes des employés sont nombreuses, elles expriment aussi un besoin plus imminent selon notre propre expérience du terrain: les talents d’aujourd’hui cherchent d’abord à trouver un sens à leur travail.
Si l’argent ne fait pas le bonheur, comment rendre nos employés plus heureux, plus mobilisés et plus engagés à long terme?
La culture de l’organisation et la qualité de son leadership n’ont jamais été plus importantes qu’en ce moment. Bien sûr, la flexibilité, le télétravail et les horaires écourtés représentent des facteurs d’attraction et de rétention indéniables, mais la capacité à donner du sens et à stimuler le désir de dépassement de soi représente pour l’employeur des atouts encore plus importants.
C’est bien connu, dans la plupart des cas, les employés ne quittent pas des organisations, mais quittent plutôt leur patron. Comment les gestionnaires peuvent-ils se réinventer?
Voici quelques conseils pratiques:
On oublie trop souvent qu’un gestionnaire ne peut pas à lui seul motiver ses employés. Les employés se motivent eux-mêmes à partir de ces trois choix individuels fondamentaux:
L’hypothèse contre-intuitive qui émerge ici est celle d’une responsabilité partagée, même dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, entre les employeurs et les employés pour construire des milieux organisationnels valorisants et enrichissants.
L’accès à la flexibilité, au télétravail, à un salaire et des conditions bonifiés sont des privilèges et non des droits acquis résultant de la rareté des travailleurs dans certains secteurs d’activité. La rareté des ressources et la pression des livrables ne justifient en aucun cas d’accepter un manque de performance.
Il demeure légitime pour un gestionnaire de s’attendre à ce qu’un employé:
Quand chacun joue son rôle, avec d’une part un gestionnaire attentif et présent, et de l’autre, un employé engagé et professionnel, tout est en place pour permettre aux talents de s’épanouir au sein de l’organisation — de grandir dans notre jardin — au lieu d’être tentés d’aller voir si «le gazon est plus vert ailleurs».
Une fois notre équipe bien pourvue en personnel, le réflexe pourrait être de surprotéger nos employés, de les traiter aux petits oignons et d’éviter de leur en demander trop pour qu’ils soient heureux et surtout, pour qu’ils restent en poste.
Ce serait dommage, car ce qui nuit le plus au plein développement de la compétence d’un employé est… le manque de stimulation!
Parfois, être moins exigeant (en se contentant de moins que ce que les employés peuvent réellement réaliser) et surprotéger les talents (en mettant les employés en apprentissage ou moins expérimentés à l’abri des conséquences de leur prestation) n’est pas la solution. Au contraire, les meilleurs employés sont souvent ceux qui carburent aux défis et qui y trouvent un sens à leur travail.
Plus que jamais, on voudra donc investir dans le développement, le coaching et le mentorat pour tirer le meilleur de chaque membre du personnel.
Avec l’émergence d’une nouvelle organisation du travail, employeurs et employés doivent se recentrer sur leurs obligations respectives les uns envers les autres et réinventer les conditions qui permettront à toutes les parties de trouver leur compte dans un contrat social renouvelé et rafraîchissant.
La qualité du leadership et la mobilisation des employés prennent tout leur sens et font assurément partie de la solution. L’après-pandémie aura sûrement des répercussions sur les talents similaires à celles de la révolution industrielle, mais à en voir les prémisses, ces changements seront plus positifs pour le bien-être de l’humain, à condition que chacun, employeurs et employés, fasse sa part.
Les gestionnaires sont au cœur de cette transformation et ont un rôle clé à jouer dans cette transformation du monde du travail. Ils devront redoubler d’ingéniosité pour faire face aux nombreux défis que posent les attentes décuplées des employés et le maintien de la rentabilité de l’organisation dans un contexte économique et géopolitique incertain.
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