Comment pivoter rapidement et gérer l’innovation correctement dans un contexte de crise et de post-crise.

Afin de nous aider à mieux comprendre comment l’innovation aide les organisations, nous nous entretenons avec deux piliers de la recherche et services conseils au pays : Charlie Wilton, co-fondateur de Sklar Wilton & Associates et Michel Berne, associé fondateur, Ad Hoc recherche ainsi que quelques clients où l’innovation fait partie de leur ADN.

Charlie Wilton, co-fondateur de Sklar Wilton & Associates et Michel Berne, asssocié fondateur, Ad Hoc recherche

BB : Quelle est l’importance d’innover en ce moment ?

Michel
On ne peut pas parler d’innovation présentement sans parler du contexte COVID et post-COVID. Mais aussi, les organisations n’ont pas le choix d’innover en ce moment, et ce, plus que jamais. On est dans un contexte évolutif. Tu ne peux pas juste avoir ta même offre de service, ton même positionnement, ta même expérience client et tes mêmes communications en faisant comme si de rien n’était. Peut-être que les changements sont mineurs dans certaines organisations, mais ils vont certainement être majeurs dans d’autres organisations.

Moi, je dis que si on pense à l’innovation, il faut la penser dans un contexte avec COVID et il faut aussi l’anticiper dans un contexte post-COVID. Là, après, le mindset des consommateurs, leur comportement, leur mode de vie, qu’est-ce qu’il va être? On a déjà une idée de ce qu’il est maintenant, mais la grande question est, qu’est-ce qui va être durable, permanent, et qu’est-ce qui est temporaire? Moi, mon hypothèse là-dessus, c’est que ce qui va s’inscrire dans la permanence est ce qui va rapporter des bénéfices tangibles au consommateur. C’est-à-dire : est-ce que je gagne du temps ou est-ce que je gagne de l’argent?

 

Charlie
Ce changement apporte des opportunités et des défis. Dans les deux cas, il y a matière à innover. Par nécessité, il faut innover. Si vous êtes un détaillant, vous innovez maintenant à cause du changement qui vous a été imposé et si vous ne répondez pas de manière appropriée, votre entreprise souffrira. Un bon exemple d’innovation est la réponse des chaînes de supermarchés pour qui la santé et la sécurité sont devenus des enjeux majeurs. Il y a également des gens qui innovent par opportunité. Actuellement, l’activité entrepreneuriale est foisonnante. Je suis certain que vous constatez à quel point cela a fait émerger beaucoup de petites entreprises locales. Les gens sur le web conçoivent et vendent des masques. L’industrie du jouet réagit parce que les gens restent à la maison.

BB : Selon vous, cet équilibre entre innovation et repositionnement, ou une meilleure communication interne et externe, met-il plus de pression sur l’innovation ?

Michel
Si c’est juste ton discours qui change mais que ta prestation de service ne change pas, les consommateurs vont voir à travers ça et dire que c’est juste du blabla. Moi je pense qu’on est dans un contexte où le repositionnement, idéalement, doit être accompagné de vraies adaptations, de vrais changements, de vrais ajustements dans la prestation parce que les circonstances l’imposent. On n’est pas juste en train de faire varier un discours. Il faut faire varier les choses pour vrai. Mais je pense que si tu veux bâtir une marque forte, ça prend de l’innovation. L’innovation est un élément fondamental pour une marque forte. Il n’y a pas de marque forte sans capital d’innovation. C’est précieux.

 

Charlie
Les deux ont leur place, et je pense que si vous regardez l’un ou l’autre, vous faites réellement face à une opportunité. S’il s’agit d’un repositionnement, cela signifie que vous pensez que votre marque a la possibilité de s’étendre à de nouveaux secteurs et de tirer parti de cette opportunité.

La raison pour laquelle de nombreuses marques échouent (les chiffres montrent que 70 à 80 % des innovations sont vouées à l’échec), ce n’est pas que l’idée elle-même n’est pas bonne, mais plutôt le fait que les plans d’affaires pour soutenir ces innovations ne sont jamais assez robustes. C’est comme faire germer un peu de semis, puis manquer d’eau, de soins et d’attention, et donc la pauvre chose meurt. Parfois, il est préférable de mettre cette jeune innovation sous une marque établie qui a les reins assez solides économiquement pour la soutenir. Coca-Cola a récemment lancé une ligne de saveurs de fruits sous la marque Coca-Cola. Je pense que c’était la bonne chose à faire. Du fait que la marque-mère jouisse d’une forte équité dans ce même secteur (boissons), elle peut servir à financer et soutenir les innovations plutôt que de partir de zéro avec une toute nouvelle gamme.

Personnellement, je suis un fervent adepte du « dépenser pour renforcer ». Si vous avez bâti une marque, votre priorité principale est d’en assurer la santé et le bien-être, à moins qu’elle ne soit endommagée ou ternie. Aujourd’hui, il y a beaucoup de marques, en particulier dans l’industrie du commerce de détail, qui sont en difficulté et qui n’arriveront vraisemblablement pas à passer au travers. Probablement qu’elles étaient déjà affaiblies au moment d’entrer dans cette crise. Dans ce cas, aucun investissement supplémentaire ne suffira sans qu’il n’y ait un changement fondamental dans leur proposition. Il ne s’agit pas d’investir en publicité pour s’en sortir, mais de s’assurer d’avoir une proposition qui soit bien alignée avec l’environnement changeant et les besoins des consommateurs et à laquelle vous pouvez apporter une valeur ajoutée différenciée. Si vous n’êtes pas en mesure de le faire, quelqu’un d’autre, peut-être dans une meilleure position, le fera à votre place. Et cela conduit à l’échec de certaines marques parce que quelqu’un d’autre répondra mieux à ces besoins.

Si vous regardez vers l’avenir et que vous êtes sciemment à la recherche d’opportunités, vous devez évaluer si votre marque a la capacité et l’équité pour s’étendre à de nouvelles opportunités. Autrement, il faudrait peut-être considérer bâtir une marque à partir de zéro, et dans certains cas, je pense que c’est plus judicieux.

BB : Chaque industrie est affectée différemment, que ce soit l’industrie technologique, l’industrie manufacturière et l’industrie du service. Quelle serait votre analyse de la situation en ce qui concerne les répercussions sur ces trois industries?

Charlie
Je crois qu’il s’agit d’industries fondamentalement différentes. Une entreprise de biens de consommation emballés répond aux besoins humains de base, qu’il s’agisse de produits de nettoyage ou d’aliments. Ce sont des nécessités du quotidien. Pour certaines d’entre elles, nous avons encouragé nos clients à considérer cela comme une occasion de continuer à investir et à innover, plutôt que de ralentir leur travail.

Sur le plan technologique, je pense que le rythme des choses a continué d’évoluer et continuera de le faire. Le rôle de la technologie, au fil de son évolution, jouera un rôle plus important dans la prestation des services, qu’il s’agisse de soins de santé ou de services financiers. Dans un monde où l’on recherche le meilleur, le plus rapide et moins cher, la technologie oblige les entreprises de services professionnels à repenser leurs offres.

Michel
C’est clair que d’une industrie à l’autre les impacts sont complètement différents, et que même à l’intérieur du manufacturier, il y a plusieurs réalités. Donc, c’est sûr qu’en ce moment tout le monde doit réfléchir à son expérience client, à son produit. Je vois trois phases dans tout ça : d’abord une phase d’écoute, ensuite d’adaptation et ensuite de réimagination. Ces trois phases sont à exécuter en séquence, mais elles peuvent se superposer.

J’y répondrais en me posant la question suivante : « Qu’est-ce qui fait qu’une entreprise est innovante? » Je trouve ça intéressant de distinguer les industries, mais pour moi tout part de l’écoute du marché et du consommateur. Il y a deux types de sources d’innovation et on voyait ça dans nos cours de marketing : l’innovation qui vient des chercheurs et de la technologie. Et aussi il y a l’innovation qui vient du marché.

Une organisation doit creuser en permanence les besoins non comblés ou les irritants… Pour moi, les besoins non comblés ou les irritants, c’est le terreau fertile de l’innovation. Quand tu comprends ça, ensuite tu peux diriger tes équipes de R&D vers les consommateurs. Par exemple, Netflix, c’est un modèle consommateur qui résout tous les problèmes qu’on avait avec les clubs vidéo.

BB : Notre sujet favori : selon-vous, quelle est la meilleure façon de tester ces nouvelles idées-là ?

Michel
Ces idées-là sont à différents stades. Il y a des idées qui sont à un stade plus embryonnaire. Il y a des idées qui sont plus développées et qu’on pourrait appeler des concepts, à la limite. Plus on est dans les stades antérieurs de gestation, où on a des idées mais qui doivent être articulées, plus on a des approches créatives, des approches de co-création, des approches où on creuse beaucoup le besoin fondamental. Chaque étape vise à enrichir l’idée, l’améliorer. Là, on est plutôt en mode agile. Le mode agile, ça veut dire qu’on a un embryon d’idée, qu’on va vérifier.

Et plus on va avancer dans le développement, plus on va mesurer et quantifier, jusqu’à ce que cette idée-là qui est en train de prendre forme, qui est maintenant un concept, trouve des preneurs dans le marché; qu’elle répond véritablement à un besoin. Je pense qu’entre les deux, ça prend de multiples étapes de vérification auprès des consommateurs.

Pour moi, la meilleure façon de tester est de le faire de plus en plus de manière rapide, de manière agile; bien exposer et bien comprendre la distinction entre, et souvent c’est un problème fondamental, deux choses : l’idée de fond et l’exécution de l’idée. Souvent, il y a des bonnes idées qui sont mises de côté parce qu’elles ont été mal exécutées dans leur présentation au consommateur, mais dans le fond elles étaient super bonnes. Ça, c’est un grand danger. Il faut toujours être capable de faire la part des choses dans la rétroaction qu’on reçoit du consommateur. Est-ce que c’est l’idée qui est rejetée ou bien est-ce que c’est la présentation qu’on en a faite? Ça, c’est crucial

Charlie
Lorsque nous conseillons nos clients sur leur pipeline d’innovation et les différentes méthodologies de recherche, cela varie en fonction de l’ampleur de l’innovation envisagée. Il n’y a pas de bon ou de mauvais, cela dépend simplement du profil de risque de l’innovation en question. Si vous échouez alors que vous avez construit une usine et embauché des milliers de personnes pour produire un produit dont personne ne veut, c’est un grand risque. Il est préférable d’opter pour un processus plus formel afin de valider l’idée, optimiser le prototype via des tests d’utilisation à domicile et peaufiner le tout avant de procéder à des investissements majeurs. Dans le cas où vous souhaitiez faire une extension de ligne et que vous avez déjà l’équipement et l’équipe en place, et que l’unique revers à essuyer en cas d’échec ne concerne que les coûts liés à l’emballage, vous pourriez conseiller à vos clients de procéder à des tests plus limités, un projet pilote, tester un compte plutôt que de faire des masses de tests formels.

BB : Pensez-vous que les modèles d’affaires des entreprises en service professionnel doivent évoluer ?

Charlie
Je suis d’avis que les services de consultation ont l’obligation d’être non seulement perspicaces mais également d’offrir des conseils sur lesquels il est possible de prendre action.

À long terme, nous voyons notre compagnie évoluer davantage vers le conseil stratégique que vers la pratique classique de faire des sondages, qu’il s’agisse de recherches qualitatives ou quantitatives. La véritable valeur ajoutée de la consultation réside dans les conseils sur l’orientation dans l’environnement, comment organiser son entreprise et comment débusquer ces opportunités, c’est là que notre valeur est réellement appréciée.

Michel
Une piste que je vois là-dedans est que toutes ces industries de services professionnels ont été affectées par des tendances vers le « do it yourself ». De plus en plus, on a des clients qui internalisent des trucs qu’ils avaient tendance à externaliser. Je pense que de plus en plus, on va voir des tendances vers le DIT, le « do it together ». Les entreprises, en ce moment, ont des déficits de ressources, d’expertise.

De plus en plus, elles vont vouloir des relations durables avec des fournisseurs de services professionnels, à qui elles n’auront pas à réexpliquer qui elles sont à chaque fois, et avec qui elles pourront travailler main dans la main.

Trois clients nous parlent innovation dans le contexte de la Covid-19

Caprion Biosciences Inc.

Établie à Montréal et présente en Amérique du Nord, Europe, Australie et Chine, Caprion Biosciences est l’un des leaders mondiaux dans les domaines de la surveillance immunitaire et du développement de biomarqueurs.

« D’un point de vue technologique, nous avons très rapidement mis en place un nouveau type de service visant le dépistage viral, de façon à appuyer l’effort gouvernemental ainsi que celui d’entreprises privées voulant assurer une continuité de leurs activités. Nous avons également commencé à élargir notre offre de services pour y inclure des essais pertinents à la recherche en vaccins, notamment en vaccins pour la COVID.

Comme nous venions de compléter notre plan stratégique ainsi que notre plateforme de marque, nous sommes convaincus que ces nouveaux services, issus d’une agilité opérationnelle, soutiennent notre positionnement dans le marché. »

Benoit Houle, Ph.D. Directeur général (Belgique) et VP Opérations ventes et Marketing

Prana

PRANA a été fondée à Montréal en 2005 par deux aventuriers qui rêvaient de changer le système alimentaire. Elle a pour mission de promouvoir un mode de vie sain à travers une bonne alimentation. Certifiée B Corp et témoignant d’une forte responsabilité sociale et environnementale, PRANA offre une variété de collations et d’ingrédients 100% bio, sans OGM, végétaliens et sans gluten qui sont vendus dans toutes les grandes épiceries à travers le Canada. Aujourd’hui, PRANA est la marque #1 de collations biologiques au Canada.

 

« Bien que l’innovation soit une valeur fondatrice de PRANA – nous avons bouleversé l’industrie il y a 15 ans avec une offre biologique et une vision des affaires novatrice où le succès est évalué aussi en fonction de notre impact sur la communauté et l’environnement –, les derniers mois ont confirmé encore plus que l’innovation est au cœur de notre marque ! Nous avons non seulement avancé de nombreux projets d’innovation, mais nous avons aussi fait preuve  d’agilité en lançant plusieurs nouveaux produits sur notre boutique en ligne, en internalisant les opérations de notre e-commerce qui étaient externalisées pendant plusieurs années, et même en bâtissant une nouvelle ligne de production ! Le tout en devant s’adapter à un nouveau mode de travail. La crise nous a certainement fait revoir certaines priorités, mais elle a aussi prouvé notre résilience et le bien-fondé de nos choix stratégiques, ce qui est possible grâce à notre forte culture d’entreprise et le dévouement des gens derrière la marque. »

Janick Parent, VP marketing

Premier Tech

Depuis plus de 95 ans, Premier Tech se déploie à l’international grâce à la force motrice de ses 4 500 équipiers présents dans 27 pays. Enregistrant une croissance soutenue depuis plus d’un quart de siècle, Premier Tech réalise aujourd’hui des ventes de près de 900 millions de dollars. L’innovation est une des démarches au cœur de la stratégie de développement de l’organisation, et ce, depuis plus de trois décennies.

« L’arrivée impromptue de la COVID-19 a bousculé grandement l’ordre des choses dans l’organisation. Cette crise a eu un impact significatif sur les démarches d’innovation, considérant l’incertitude économique prévalant en mars. Lorsque le Québec et plusieurs autres territoires ont mis leur économie sur pause, l’entreprise a diminué l’ampleur de ses travaux et réexaminé le contenu du portfolio de projets. C’est ainsi que les équipes ont été revues et les projets ayant des retombées à court terme priorisés. Paradoxalement, ce ralentissement a permis de créer certains espaces d’analyses plus en profondeur difficiles à aménager en période dite normale. Ces réflexions ont permis, et permettent, de se pencher sur des offres potentielles porteuses de valeur mais à plus long terme. Avec le recul d’une dizaine de semaines, il apparaît que l’impact de la  COVID s’est manifesté  plus significativement sur l’innovation à moyen terme. Maintenant, nous sommes à l’heure de bien observer les impacts des mesures de déconfinement à géométrie variable sur les différents territoires où Premier Tech a une présence commerciale et des démarches d’innovation. » 

Pierre Talbot, Biol., Ph.D., VP principal, Innovation


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